« Touche pas à mon commis »
« Touche pas à mon commis » : Une petite piqure de rappel suite au manifeste paru dans le journal de l’hôtellerie. Manifeste rédigé par Gérard Cagna et soutenu par quelques chefs pour éviter de banaliser toute forme de violence en cuisine. Certes nous avons pour certains d’entre nous connus quelques méthodes un peu brutes à une époque pas si ancienne que ça en cuisine. Nos ainés reproduisaient parfois ce qu’ils avaient vécu. Transmettre le geste est très important. La méthode l’est tout autant, et peut être plus .
Aujourd’hui, la médiatisation des chefs a permis de mettre en lumière nos métiers. C’est la partie « réality show ». Il faut bien sur que les jeunes comprennent que la réalité est un peu différente. Acquérir un geste, un état d’esprit demande du temps et du travail. On ne zappe pas comme sur une tablette ou un smartphone.
Si l’école peut apporter l’état d’esprit, la rigueur et les quelques gestes essentielles pour aborder la vie réelle dans de meilleures conditions. Si la famille peut jouer son rôle également dans le respect de l’adulte et des règles essentielles de savoir vivre. Au professionnel ensuite de comprendre que le jeune aujourd’hui zappe plus facilement et a évolué. La méthode de management de la brigade va forcément devoir s’ajuster. Entre paternaliste, réalité économique, personnalité du chef et de ses encadrants. Une alchimie pas facile à mettre en place.
« Une formation incomplète – Thierry Marx extrait de psychologies.com »
Dans ce climat tendu, il semble pourtant bien difficile, pour certains chefs, de mener à bien leur barque sans avoir appris à diriger une équipe. « Le problème managérial, et le problème des violences, est souvent lié au manque de formation dans notre métier, affirme le chef Thierry Marx. Il existe des programmes fumeux, dans les écoles hôtelières, sur le management, mais ce sont des choses qui, sur le terrain, ne marchent pas. Les règles sociales dans ce métier ne sont, des fois, même pas appliquées du tout. » Pour lui comme pour beaucoup d’autres, le chef reste l’unique responsable de sa brigade. C’est lui qui donne le ton. C’est lui qui forme. C’est lui qui montre l’exemple. « L’exemple est la meilleure preuve de l’autorité. S’il n’y a pas d’exemple, il n’y a pas d’autorité. » Mais pour être exemplaire, encore faut-il savoir de quelle façon. « L’arrivée du matin, par exemple, est importante. Prendre le café avec l’équipe, savoir se reconnecter avec ses collaborateurs. Il faut cérémonialiser les choses à tout prix. Et ne pas mettre de pression excessive. » Autant de conseils précieux que certains chefs parviennent à mettre en œuvre et à distiller au sein de leurs brigades. Pour les autres, une vraie réflexion sur les problèmes de formation serait à mener, maintenant que le silence est brisé.
Manifeste des chefs français pour le respect et l'intégrité physique et psychique des jeunes cuisinières et cuisiniers
En anthropologie des sociétés organisées et codifiées il est dit « que toute époque charnière est tombeau d’une époque révolue et berceau d’une époque à découvrir ». Ainsi le microcosme de la Cuisine Française, de ceux qui la font et de ceux qui en parlent, s’est ému de faits avérés graves de violences physiques en cuisine.
Devant l’émoi et la sidération provoqués par cette violence récurrente dans les cuisines, que l’on pensait archaïque et d’ un temps que les moins de trente ans ne pouvaient pas connaitre, il est venu le temps de proposer à l’ensemble des grands chefs français de s’élever solennellement contre la violence en nous rejoignant pour ce projet de Manifeste.
Il n’est pas question de stigmatiser ou de faire la leçon, de diviser notre profession mais de la rassembler pour refuser la banalisation des violences larvées ou actées et son évident corollaire corporatiste de la tentation du silence version Omerta !!
Ainsi nous pensons qu’il faut bannir toutes les mini brimades physiquement contondantes et répétitives qui sont des atteintes à l’intégrité physique tangibles et douloureuses, afin de rendre la profession éthiquement indiscutable. Il ne faut pas oublier que la peau est à la fois une frontière qu’on ne viole pas et un organe et comme l’a dit si joliment Paul Valéry : « Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme c’est la peau ».
Il n est pas question de s’ériger en moralistes ou donneurs de leçons mais de continuer à transmettre les fondamentaux de nos métiers « rigueur, engagement et régularité » sans lâcher sur l’essentiel, en excluant sans faiblesse les violences gratuites de type exutoires qui sont réputées douloureuses et humiliantes !
Certes la cuisine est à la fois un microcosme avec ses règles souvent dans un espace contraint de productions et de déplacements, de tensions psycho-physiologiques rythmées souvent par les deux services du théâtre de la gourmandise.
Cela ne doit pas être la Cour des Miracles de personnages, certes courageux et talentueux mais qui reproduisent ce qu’ils ont vécus devenant à leur insu des générateurs de scories violentes et névrotiques.
Il nous paraît important et salutaire de lever l’omerta qui règne pour refuser la banalisation des petites violences ordinaires à tendance bizutage larvé ou considéré calibré comme des rites initiatiques !
Il nous semble bon de rappeler que dans une société saturée de technologies où règne en permanence la dictature de l’image et de la violence, il est prouvé que le mimétisme associé à la mémoire de ces deux éléments ont des vertus dupliquantes et par extension génératrices de violences.
Il nous appartient aussi d’ apprendre aux jeunes à dire l’inacceptable, mais aussi à faire la part des choses avec ce qui participe à l’ autorité normale et induite dans la conduite d’ un métier à fort engagement psycho-physiologique où les substances psychoactives ne doivent pas s’ additionner à l’ adrénaline. Ainsi nous pensons que la signature d’une pétition des chefs français nous semble une réponse appropriée contre des actes de violence indignes de notre profession.
Surtout au moment ou la Gastronomie est au menu du comité de promotion du tourisme sous l’autorité de Monsieur Laurent Fabius ministre des Affaires étrangères et du Développement international.
Gérard Cagna, Cuisinier Reporter
Pour les chefs Meilleurs Ouvriers de France : Guillaume Gomez, Guy Krenzer, Fabrice Prochasson, Michel Roth, Christian Têtedoie et le maître chocolatier Gilles Marchal.
Paru dans l’hôtellerie – Novembre 2014